Il vaut mieux en rire

On dit souvent "Tout nouveau, tout beau". Permettez-moi, puisque je suis au Vietnam, de pasticher ce dicton par "Tout nouveau, tout rigolo"!

Un passage qui se termine en queue de poisson… d’avril.

Je vous avais expliqué dans ma dernière tranche de vie que victime de la pollution, je m’étais expatrié dans une lointaine banlieue de Hanoï. Je devrai même dire, une autre province, puisqu’il me faut franchir la frontière de celle de Hanoï, pour parvenir jusqu’à ma bulle d’oxygène. Depuis, lors mes poumons s’enthousiasment à chaque fois que je mets le nez dehors et ma sphère oto-rhino-laryngée se gargarise d’un air à me rendre une voix de Caruso! Mais, si mon métabolisme ne cesse de me remercier de lui avoir trouvé ce nouveau havre de santé, mes capacités cognitives sont mises à rude épreuve. En effet, quand la néo-ruralité a ceci de remarquable, c’est qu’elle nous plonge dans un univers qui rompt avec nos habitudes urbaines. Une sorte de choc culturel, qui nécessite une capacité d’adaptation. Quitte à être mis, parfois, à rude épreuve.

Marcher pour le marché

Depuis que j’ai opté pour une vie familiale et conjugale, j’ai toujours vu mon épouse se lever aux aurores pour aller au marché. Endroit d’une joyeuse truculence, jamais loin de chez soi, où se retrouvent entre elles toutes les ménagères du quartier. On y papote, on s’y échange de bons conseils, on s’y raconte, on s’y dispute parfois. Territoire féminin, à l’écart des maris et des enfants, où s’exercent la toute-puissance des (vieille dame), ces vendeuses au verbe haut et à la dent dure! De bavardages en tractations, on y achète des produits frais arrivés de la nuit. J’avoue que savourer des tomates, cueillies la veille, à quelques kilomètres de chez moi, me procure un plaisir organoleptique considérable. Ajoutez à cela d’avoir au petit déjeuner, un bon petit pain chaud et croustillant, déniché dans la corbeille de la vendeuse installée au coin de la rue, et vous comprendrez que mon palais avait pris quelques gourmandes habitudes.

C’est donc tout naturellement que je m’attendais, du haut de mon 25e étage, que mon épouse poursuive cette cérémonie quotidienne. Or, dans mon nouveau monde, de marché point! Ou alors, il faut parcourir 8 km, ce qui sauf à pratiquer assidûment la course de fond, reste une promenade matinale plutôt rude pour une mère de famille, aussi dynamique soit-elle. Devant cette carence d’approvisionnement alimentaire de proximité, je m’inquiétai! Faudrait-il replonger dans ce que j’avais fuit il y a 15 ans déjà: l’hyper marché hebdomadaire le samedi après-midi et le réfrigérateur rempli à ras bord de produits emballés, étiquetés, aseptisés, et affadis? Heureusement, dans ma détresse, une lueur d’espoir. Comme le liseron au pied d’un mur, des supérettes poussent au pied des grandes tours. D’autres se nichent aussi dans les rues nouvellement dessinées, à l’ombre de maisons encore en construction. Nous n’avons que l’embarras du choix, et mon épouse toujours très pragmatique, a déjà sélectionné les unes et les autres en fonction des produits. Celle-ci pour la viande parce qu’il y a une découpe sur place, celle-là pour les légumes car ils sont livrés en vrac chaque matin, une autre pour les produits frais parce qu’il y a un grand choix, une autre encore pour l’épicerie… Elle a même découvert une boulangerie qui fabrique un vrai pain… Pas de ces succédanés qui s’effritent ou mollissent en quelques heures. Finalement, c’est tout le quartier qui est devenu son marché.

Impasse de passage

Pour faire son marché dans tout un quartier, aussi nouveau soit-il, il faut traverser des rues. Ici, loin de la grande ville, pas de flots de motos qu’il faut fendre à ses risques et périls. Pas de voitures qu’il faut éviter pour rester en vie. Si on parle de désertification rurale, ici c’est plutôt la désertification vicinale! Les seuls embouteillages possibles seraient ceux de bambins en poussette, dont les mamans ont annexé cette surface lisse, évitant à leurs progénitures de se croire dans une machine à laver! Malgré tout, peu fréquentée ou pas, une route doit respecter son code, et dans celui-ci, il est précisé qu’il faut des passages réservés aux piétons, pour la traverser.

On a donc peint de magnifiques bandes blanches sur le sol. Et, comme c’est tout neuf, ça a de la gueule! Justement, aujourd’hui je conduis mes filles à la campagne. C’est-à-dire que je quitte ma tour, pour rejoindre prairie, bosquets et lac, qui se trouve de l’autre côté de la rue. Désireux d’inculquer à mes filles, un minimum de savoir-vivre en société, j’opte pour une traversée par le passage piéton qui se trouve à quelques mètres de notre immeuble. Malgré l’absence totale de danger, j’invite ma fille aînée à regarder à gauche puis à droite, avant d’engager la poussette de sa petite sœur.

Comme tous les enfants, elle commence par avoir une attitude logique, c’est-à-dire regarder où on va mettre les pieds, en d’autres termes savoir où cette traversée va nous mener. Alors que j’ai déjà franchi un mètre sur la chaussée, j’entends un "Papa oi, on va où là?" derrière moi. Mes filles sont encore sur le trottoir, et l’aînée, avec des yeux autant intrigués qu’amusés, me désigne du regard et du menton l’autre côté de la rue. Intrigué, je regarde à mon tour et pour la première fois de ma vie je découvre qu’un passage piéton peut être une impasse.

Normalement, un passage pour piéton est destiné à aller d’un trottoir à un autre, et peut être utilisé dans les deux sens. Et, bien dans mon nouveau monde, non! Si notre passage piéton part bien d’un trottoir, de l’autre côté il aboutit dans une splendide plate-bande de plantes grasses et d’arbustes, qui s’étale jusqu’au bord du trottoir. Et, bien évidemment, pour éviter que des pieds humains n’abîment ces pieds végétaux, on a installé une barrière de protection qui la rend inaccessible. Pour franchir cet obstacle, une seule solution, le contourner. C’est-à-dire circuler sur la chaussée pendant environ 20 m, avant de retrouver le territoire des piétons. Tandis que mes filles s’épuisent de rires et de chutes dans l’herbe généreuse d’une prairie que nous sommes parvenus à rallier, je me perds en conjectures sur l’urbaniste ou l’ingénieur auteur d’une telle galéjade: soirée trop arrosée, blague de potache, amoureux transi, logique ubuesque…

Tout nouveau, tout rigolo. Je vous le disais bien.


Texte et photo: Gérard BONNAFONT/CVN

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