De traverse et de quais

Quand des amis arrivent par le train, rien de plus normal que de les attendre en gare. Mais parfois, cette attente est une aventure insolite.

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Des passagers à la gare ferroviaire de Long Biên, à Hanoï.
Photo : CTV/CVN

Comme toute capitale qui se respecte, Hanoï a ses gares dont celle de Long Biên, postée en sentinelle devant le pont du même nom. Petite gare qui nous prépare à sauter le fleuve Rouge pour nous échapper vers les horizons maritimes de la Mer Orientale, elle vit au rythme tranquille de ses trains quotidiens. Il en est tout autre de sa grande sœur, la gare municipale de Hanoï, endroit truculent, univers étrange, aux rites bien établis.

Bonne direction

Dans un Occident hyper mécanisé et robotisé, nous avons pris l’habitude de converser avec des machines. Taper sur un écran tactile, introduire sa carte ou sa monnaie, récupérer le billet que crache le distributeur. Circuler, il n’y a rien à voir. Ici, au contraire, la gare a du caractère. Elle est animée d’une vie intense, et pas seulement par le grouillement des voyageurs qui vont et viennent, mais aussi par l’activité d’une multitude de personnes qui, chacune, remplissent une fonction bien précise.

À commencer par la vendeuse de billets de quai qui nous accueille dès l’entrée dans le hall. Attention, le billet de quai est indispensable à qui veut ressortir sans avoir pris le train ! Le perdre, c’est courir le risque de se heurter au barrage de trois ou quatre préposés, qui perdront pour quelque temps le proverbial sourire vietnamien. Là encore, il faudra déployer beaucoup d’énergie, de calme, d’arguments pour éviter l’amende ou pire: la rétention dans l’aire ferroviaire pour un temps indéterminé.

Mais, pour l’heure, partons à la quête d’une information primordiale : savoir à quelle heure exacte et à quel quai arrive le train que nous attendons. Chose facile, semble-t-il. Il suffit de choisir parmi les dizaines de personnes vêtues de l’uniforme des chemins de fer : chemise bleu clair, pantalon bleu marine, et parfois casquette galonnée sur la tête. Il peut arriver, quand on s’apprête à adresser la parole à une aimable "cheminote", d’être harponné par un jeune homme qui nous interpelle en une langue que Shakespeare aurait du mal à identifier comme sa langue maternelle. Sa sollicitude pourrait nous émouvoir, quand il s’enquiert de notre origine nationale et de notre destination locale.

L’explication apparaît quand il exhibe quelques pièces de monnaie en euros, en demandant de lui changer en dôngs. Comment des touristes peuvent-ils continuer à donner des pourboires en pièces d’un ou deux euros, alors qu’il est impossible de les changer officiellement ? Entre deux rames de chemin de fer, s’entame une opération de change au noir…

Comme toujours d’ailleurs, l’esprit d’à-propos des Vietnamiens est désopilant. En effet, si l’on demande à son interlocuteur de fixer le taux de change, la proposition est à la mesure de l’atmosphère de cette gare : surréaliste. La crise économique et la déflation continue de l’euro depuis quelque temps ne semblent pas le concerner.

Des passagers sur un train Nord-Sud.
Photo : CTV/CVN

Sous les sifflets des locomotives en partance, s’installe une salle de bourse en plein air où les cambistes d’occasion négocient âprement un cours officieux pour lequel personne ne perd la face. Affaire conclue, pièces dans la poche de l’un, billets dans la poche de l’autre, après l’intermède fiduciaire, revenons au monde ferroviaire.

Chemin de traverse

En gare de Hanoï, si l’on vient de l’entrée de la rue Trân Quy Cap, il faut traverser les voies pour atteindre les quais : parcours surprenant pour qui n’est pas habitué. Il faut zigzaguer entre les rames, raser le mufle des locomotives, dont certaines ont déjà le moteur en marche. On a l’impression de se faufiler parmi un troupeau de monstres antédiluviens, ronronnant à l’idée de ne faire qu’une bouchée de l’audacieux qui vient troubler leur repos.

Si l’on arrive sain et sauf à la voie indiquée, il faut se positionner en bout de quai pour être certain de ne pas manquer les amis que nous attendons. Dix minutes à attendre: tout loisir d’observer l’agitation qui règne en ces lieux et, notamment, les groupes de touristes qui suivent leurs guides. Ceux-ci, véritables bergers, guident leurs ouailles dans les méandres de rails qui s’entrecroisent, de quais qui se succèdent, de wagons qui s’enchaînent… Surtout ne pas se tromper de train, ne pas perdre un touriste, trouver le bon wagon, le bon compartiment…

Derrière eux, chaque voyageur se débat avec sa valise, tirant, roulant, cahotant en passant sur les rails. On fonce tête baissée, suivant le guide dans la foulée. Parfois, une carriole à traction et poussée humaine, surchargée de bagages, brinqueballe sur les pavés disjoints. Les montagnes de valises et sacs à dos vacillent, défient les lois de l’équilibre et parviennent tant bien que mal à rejoindre, sans mal, leurs propriétaires. Enfin, presque toujours. En effet, voici une carriole qui vient justement de verser sur le côté, après avoir eu quelques différends avec son centre de gravité.

Le chargement s’éparpille entre les rails, juste sous le nez d’une locomotive qui heureusement n’est pas encore sur le départ. Frémissement à la pensée des céramiques que les touristes ont décidé de rapporter chez eux. Tout le monde se précipite pour recharger tant bien que mal. Quelques porteurs viennent à la rescousse en embarquant sous le bras des bagages récalcitrant, et, cahin-caha, le fourniment reprend son chemin pour rejoindre le groupe de touristes qui, déjà dans son wagon, n’a heureusement pas été témoin de l’incident.

Les cheminots, accroupis dans la position qu’affectionnent les Vietnamiens au repos, commencent à se lever. Dans un dernier halètement d’effort, le train venu de lointaine province amène ses wagons à quai. Les passagers descendent, titubent quelques secondes en retrouvant le plancher des vaches et, en flot continue, se dirigent vers la sortie. On se retrouve, juste le temps de se glisser entre les porteurs qui proposent leur aide, les xe ôm (conducteurs de moto-taxi) qui parviennent jusqu’au quai pour offrir leur service, et nous nous retrouvons dehors.

Finalement, même immobile, une gare, ça voyage !

Gérard Bonnafont/CVN

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