Sous le gui l'an neuf

Un peu près d'un mois avant le Têt traditionnel, les éphémérides vont perdre leurs dernières feuilles immatriculées 2018. Dans les coulisses, 2019 est prêt à entrer en scène. Quoi de neuf pour l'an neuf?

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Dans l’agitation du Nouvel An, le lac reste serein: il n’en est pas à son premier.
Photo: Gérard Bonnafont/CVN

L'être humain est ainsi fait qu'il a besoin de rythmer son temps par des événements rituels. Une façon comme une autre de dire qu'il le maîtrise, ce temps qui lui file entre les doigts. Quand on célèbre les cycles de la nature, on peut comprendre qu'il y ait une logique de survie. La première lune de printemps, le solstice d'hiver ou d'été, la dernière lune d'automne, toute cette danse astrale qui nous fait tomber le ciel sur la tête ou nous assèche le gosier, ça c'est du sérieux. Pas question de courir le risque de mécontenter dame nature et se serrer la ceinture toute une année. Mais, qu'est-ce que le 31 décembre a de si spécial, pour qu'à minuit il décide de laisser la place au premier jour de la Nouvelle Année?

Nouveau le Nouvel An

Il n'a rien de naturel ce jour de l'an et aurait très bien pu ne pas exister. Pour le plus grand malheur des maisons de champagne, ostréiculteurs, gaveurs de canards mulard, fabricants de cotillons, artistes de cabarets… pour ne citer qu'eux. De fait, pendant des centaines d'années, avant que le monde ne décide de s'ouvrir à lui-même, le Nouvel An était une culture locale. Par exemple, en Europe, d'où nous vient celui à qui l'on trinque aujourd'hui, le calendrier était soumis au bon vouloir de Rome et de ses empereurs. Le calendrier julien, celui de Jules, s'est imposé pendant 1.500 ans. On décidait d'ouvrir les hostilités le 1er mars, au propre comme au figuré. En effet, cette date marquait le début des opérations militaires, un peu comme la récré sonne l'heure de la castagne dans la cour.

Et, comme Mars était le Dieu de la guerre, on lui offrait une nouvelle année, en espérant que la récolte de crânes et d'esclaves soit bonne! Et puis, Grégoire est arrivé. En bon chrétien et en bon pape de surcroît, il a décidé que Mars et ses instincts belliqueux ne valaient pas tripette devant la nativité et son message d'espoir. Donc, au lieu de se mettre des marrons, on les mettrait dans la dinde et on fêterait la Nouvelle Année et le jour de Noël.

Sauf que les astres, pas très contents d'être oubliés dans l'affaire, n'étaient pas très d'accord. Et comme on ne pouvait quand même pas se les mettre complètement à dos, surtout le plus puissant, il a fallu composer en décidant que ce serait le premier jour du mois solaire qui suit Noël qui serait la porte de la Nouvelle Année.

Ce petit arrangement avec la nature ne concernait pas grand monde au début, sauf que ce pas grand monde s'est largement répandu dans le monde en imposant son calendrier pour les échanges commerciaux.

Et, aujourd'hui, par la grâce de la mondialisation, de la médiatisation, de la commercialisation..., bref de tous ces mots qui finissent en station et transforme notre planète en petit village, il n’est pas une personne dans le monde qui n’attend le compte à rebours du 31 décembre pour se dire que le miracle se produit. L'an passé est mort, le prochain lavera plus blanc.

Feux d'artifice tirés au lac Hoàn Kiêm, à Hanoï, lors du Réveillon.
Photo : Minh Duc/VNA/CVN

Rien de nouveau

Mais, on ne jette pas le bébé avec l'eau du bain et si le Vietnam sacrifie au rite de la Saint-Sylvestre, il donne une place prépondérante à ceux de la fête du Têt qui, lui, s'aligne sur les forces de la nature.

Et, puisque nous parlons de rites, je laisse le soin aux futures pages de votre hebdomadaire d’évoquer ceux du Têt, plus cultuels, pour m'arrêter sur ceux, plus matérialistes, du Nouvel An occidental (Têt Tây) comme on le nomme ici.

D’ailleurs, inutile d’écrire rite au pluriel. Il n’y en a qu’un: faire la fête jusque tard dans la nuit. Et, la fête, c’est d’abord la ripaille! Il suffit de faire du lèche-pupitre devant les entrées des restaurants, hôtels et autres lieux d’agape pour avoir une indigestion à la simple lecture des menus proposés pour l'occasion. Pour ceux qui n’ont pas les moyens de passer de cette indigestion virtuelle à une véritable, bien frappée et dont le foie s'en souviendra longtemps, les rayons des magasins offrent le nécessaire et le superflu pour faire bombance à domicile.

Et, pas seulement, car la fête, c’est aussi la joie en famille ou entre amis. L’amitié comme la confraternité familiale, ça s'entretient. Et, quoi de mieux qu'un petit cadeau pour l'occasion. Pour le différencier des autres cadeaux que l'on pourrait se faire pendant le reste de l'année, on le nomme étrenne. Une façon de dire qu’on étrenne une série de présents à venir? En fait, "étrennes" viennent d’un mot rare en latin, strena, qui désigne un bon présage et plus particulièrement un cadeau fait pour apporter un bon présage.  À chacun son cadeau, en fonction de son porte-monnaie, de son imagination, de sa tendance écologique… pour la plus grande joie des caisses enregistreuses des commerçants.

La fête, c’est aussi s’éclater, laisser exploser sa joie, comme si l'on était libéré après une incarcération de 365 jours… Il suffit de se promener dans les grandes villes comme Hanoï ou Hô Chi Minh-Ville pour mesurer la force de l'explosion qui a eu  lieu ce soir-là. Les places sont transformées en salle de concert, avec des estrades surmontées de gigantesques colonnes de haut-parleurs, dont le gabarit laisse augurer de la puissance des décibels qui vont déferler dans les rues. Le paroxysme arrive à minuit, quand la foule déchaînée commence un compte à rebours que des animateurs improvisés, micro en main, rythment jusqu'au fatidique "Chuc mung nam moi 2019!" (Bonne Année 2019!) hurlé par des milliers de cordes vocales proches de la rupture. Les klaxons s’en donnent à cœur joie, même si ce genre d’expression ne prend pas tout son sens ici, où chaque jour est Nouvel An pour eux. Et puis, la nuit s’étire jusqu’au petit matin, et le Vietnam se réveille avec la "gueule de bois".

Mais, quand j’écris ces lignes, je m’aperçois que j'aurai pu les écrire dans n’importe quel autre pays. Preuve s'il en est que cette fête manque de caractère.

Finalement, rien de nouveau sous "le gui l'an neuf". Mais, je vous en souhaite quand même une bien bonne pour 2019...

Gérard BONNAFONT/CVN

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