Les nhà vuon de Huê

Nhà vuon signifie littéralement "maison-jardin". Ce terme désigne un type architectural spécifiquement huéen dans lequel la maison d’habitation est liée organiquement au jardin, aux plantes, au paysage d’alentour, à tel point que l’ensemble crée une certaine spiritualité.

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La maison-jardin est emblématique de l’architecture originale de Huê (Centre).
Photo: VNA/CVN

Le nhà vuon est un trait caractéristique de la culture de Huê (Centre), cité de rêve et de poésie au bord de la rivière des Parfums, capitale de la dynastie des Nguyên jusqu’à l’occupation française en 1884.

La plupart des maisons de Huê, surtout dans la banlieue et les villages environnants, possèdent un jardin, d’agrément plus que potager, surtout quand le propriétaire est de souche noble ou lettrée. Le modèle répandu est le suivant: devant la porte d’entrée pratiquée dans la clôture de la maison, on plante un arbre à ombrage, de préférence un badamier. Cette porte, assez haute, est surmontée d’un petit toit, assez large pour permettre au passant d’avoir un abri temporaire contre le soleil ou la pluie.

Au milieu du jardin, la maison principale est précédée d’un écran en maçonnerie (binh phong) de défense magique. L’allée qui y mène depuis la porte d’entrée est bordée de haies de théiers ou d’abricotiers. Elle peut côtoyer un bassin en demi-lune orné de lotus.

L’harmonie entre l’homme et la nature

La première rangée floristique entourant la maison comprend des plantes d’agrément, offrant des fleurs selon le goût du propriétaire.

La deuxième rangée présente des arbres fruitiers au profil svelte tels que orangers thanh yên, aréquiers, citronniers, dont les fruits sont placés sur les autels de Bouddha ou des ancêtres.

Au milieu du jardin, la maison principale est précédée d’un écran en maçonnerie ("binh phong") de défense magique.
Photo: VNA/CVN

La troisième rangée comporte de grands arbres fruitiers, jaquiers, longaniers, goyaviers… Viennent ensuite des plates-bandes d’herbes aromatiques ou de plantes médicinales. En somme, un peu de tout, même dans les jardins de petite dimension.

La maison typique est le nhà ruong à charpente en bois, couverte de tuiles. L’assemblage des pièces se fait à tenon et à mortaise, en l’absence de tout métal. Le tout repose sur un système de colonnes, lesquelles reposent sur des bases rondes ou carrées de pierre taillée et quelquefois décorées, en tout souvent 56 colonnes. Le modèle ordinaire comprend trois travées pleines et deux travées d’extrémité ou appentis. L’autel des ancêtres occupe la travée centrale.

Le bois de charpente est choisi parmi les espèces qui résistent à l’humidité et aux insectes: gie loi (chêne vietnamien), sông xanh (Tetranthera des Laurinées), pin, - pour les maisons de riches: lim (bois de fer), gu (sindora)…

Le bambou est employé pour un type architectural modeste, le nha noi, paillote dotée d’une colonne principale implantée dans le sol et ne reposant pas sur un socle de pierre.

Presque toutes les maisons de la banlieue et des environs de Huê ont un jardin, même les plus pauvres. Mais le terme nhà vuon est réservé plutôt à un complexe architectural de ce genre ayant une charpente en bois et recouvrant plusieurs centaines de mètres carrés. Une enquête faite en 2002 par la municipalité de Huê a révélé plus de 7.000 nhà vuon de plus de 400 m² dans les quartiers urbains et de plus de 600 m² dans les quartiers suburbains.

La maison-jardin d’An Hiên

Je me souviens d’avoir visité, il y a une vingtaine d’années, en compagnie de mon amie poète Françoise Corrèze, le fameux nhà vuon de Mme Nguyên Dinh Chi, figure attachante, personnalité culturelle et politique de l’histoire contemporaine de Huê.

Née en 1909 d’un père mandarin poète de Binh Dinh (Centre), elle est venue à Huê en 1923. Elle a fait ses études au lycée Dông Khanh au temps de la colonisation française. Gagnée aux idées révolutionnaires du vieux patriote Phan Bôi Châu assigné à résidence surveillée à Huê, elle dirige à 18 ans une grève scolaire contre l’administrateur français. Exclue de l’école, elle continue à mener ses activités sociales en même temps que ses études. Elle est la première bachelière du Trung Ky. Son mari Nguyên Dinh Chi, mandarin ayant grade de ministre, a quitté la vie dès 1940, à l’âge de 51 ans.

Devenue directrice du lycée Dông Khanh, elle donne sa démission en 1955 pour protester contre le régime dictatorial pro-américain de Ngô Dinh Diêm. En 1968, elle gagne le maquis. Conseillère du gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud Vietnam, députée à l’Assemblée nationale du Vietnam réunifié, elle est morte presque nonagénaire.

Vers 1982, Mme Nguyên Dinh Chi nous avait reçus, Françoise et moi, avec une courtoisie amicale. Grâce à elle, nous avons pu sentir la poésie diffuse et le charme discret d’un nhà vuon, lieu de retraite des lettrés de Huê. La demeure se trouve dans le hameau faubourien de Xuân Hoa, sur la rive gauche de la rivière des Parfums. Ancien phu (sorte de palais seigneurial), d’un grand mandarin construit à la fin du XIXe siècle, elle a été acquise en 1936 par les époux Nguyên Dinh Chi. Après le décès de son mari, Mme Chi s’y est réfugiée et l’a remodelée, lui donnant le visage actuel. La propriété de 4.600 m² porte comme nom An Hiên (Véranda de la quiétude), nom qui confère la note dominante à l’ambiance. À la porte d’entrée, deux sentences parallèles disent:

Le mont de l’écran royal s’estompe dans le ciel moutonné
Dans l’eau limpide de la rivière des Parfums se mire la lune.

Dans ce paysage pittoresque qui s’ouvre aux effluves bénéfiques de la géomancie, An Hiên présente au visiteur tous les traits du parfait nhà vuon: longue allée, écran magique en maçonnerie, cour, planches de fleurs toutes couleurs, plantes d’ornement d’une grande variété, lac aux nénuphars, verger rassemblant des arbres fruitiers des trois parties du pays, et au centre une maison en bois vétuste à 48 colonnes pour le culte des ancêtres et de Bouddha, pavillon de lecture et autres dépendances. On est envoûté par le parfum des fleurs et des fruits, le gazouillis des oiseaux, le chant des cigales et la fraîcheur des ombres.

Huu Ngoc/CVN
(Novembre 2004)

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